L'égalité hommes-femmes face à l'obtention des subsides

Publié le 21 février 2023 dans Financement


Source : monasbl.be

L’égalité entre les hommes et les femmes est une lutte de très longue haleine et n’épargne aucune sphère de la société. Pas même les associations. Qu’en est-il alors du subventionnement des ASBL ? Les hommes et les femmes sont-ils logés à la même enseigne ? « Il y a plusieurs manières d’aborder la question et il faut savoir de quoi on parle », cadre au préalable Isabella Lenarduzzi, fondatrice de l’ASBL Jump qui promeut l’égalité des genres dans les organisations.

En effet, la question de l’égalité de genres face au subventionnement peut s’analyser à plusieurs niveaux : de la personne qui porte le projet (les femmes obtiennent-elles aussi facilement des subsides que les hommes ?) ou encore de la nature du projet (comment les projets favorisant l’égalité des genres ou les droits des femmes sont-ils subventionnés ?).

L'ABSENCE DES DONNÉES

A la question « les femmes obtiennent-elles aussi facilement des subsides que les hommes ? », difficile d’avoir des statistiques. En effet, bien souvent les demandes de subsides sont portées par des associations et non des personnes. Faire une analyse genrée reviendrait donc à aller chercher qui se trouve derrière l’ASBL. Et encore faut-il savoir ce que l’on observe. « Est-ce c’est le chargé de projet ? Ou est-ce qu’on va ller jusqu’à l’organe d’administration ? », soulève Barbara Brunisso, directrice de la Cellule de lutte contre la pauvreté et de la Direction de l'Egalite des Chances de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB).

Pour Marcela de la Peña Valdivia, experte et formatrice internationale en genre, l’une des pistes se trouve du côté de la composition de l’organe d’administration. « Nous savons quelles ASBL sont financées et on pourrait voir si l’organe d’administration est piloté avec une représentation équitable. Ce serait intéressant de faire ce travail », explique l’experte. Un travail d’autant plus intéressant en Région wallonne où, depuis 2014, les ASBL agréées ne peuvent plus avoir un organe d’administration composé de plus de deux tiers de membres de même sexe, sauf dérogation.

"LES FEMMES DÉPOSENT QUATRE FOIS MOINS DE PROJETS"

Si les données genrées font défaut en ce qui concerne le financement des ASBL, il est possible d’observer les dynamiques dans d’autres secteurs. Du côté de l’aide à la création musicale individuelle ou collective en FWB, par exemple, « les femmes déposent quatre fois moins de projets que les hommes », souligne Jonatan de Lemos Agra, chargé de projets au sein de la cellule d'appui en genre (CAG).

Le même constat saute aux yeux lorsqu’on observe les statistiques de la Commission de sélection des Films (CSF). En 2021, les hommes ont déposé 67% des projets à la CSF pour la production contre 34% par des femmes. Les pourcentages sont similaires pour les projets de réalisation et scénario.

Face à ce phénomène, Jonatan de Lemos Agra met en avant un problème structurel et sociétal qui tend à exclure les femmes. « Elles peuvent être découragées pour plusieurs raisons que ce soit le plafond de verre [c’est-à-dire le fait de pouvoir évoluer dans la hiérarchie jusqu’à un certain niveau, NDLR], la charge mentale, la pauvreté, le fait que la plupart des familles monoparentales en FWB sont tenues par des femmes, etc. », observe-t-il.

LE SYNDROME D'IMPOSTURE

Toutefois, lorsque les femmes parviennent à dépasser ces limites on observe un autre phénomène intéressant. Toujours selon les statistiques de la CSF, 59% des projets de production soutenus ont été déposés par des hommes, contre 41% par des femmes. Pour les projets de scénario, les projets soutenus sont presque à 50-50 entre les hommes et les femmes. Si les femmes déposent moins de projets, elles sont proportionnellement plus nombreuses à être soutenues.

Même chose du côté du marchand. « Quand je demande des résultats sexués à Finance.brussels [un organisme qui finance les entreprises et indépendant.es à Bruxelles, NDLR], la réponse c’est un taux de réussite plus important pour les projets d’entreprise portés par des femmes que ceux des hommes. Ça ne m’étonne pas », assure Isabella Lenarduzzi. Plus touchées par le syndrome d’imposture (cf l’ouvrage Le syndrome d'imposture : pourquoi les femmes manquent tant de confiance en elles ?, d’Élisabeth Cadoche et Anne de Montarlot), c’est-à-dire un sentiment d’illégitimité notamment professionnelle, les femmes passent plus de temps sur leurs dossiers « pour qu’ils soient mieux ficelés », explique-t-elle. « C’est comme à l’école ! Les filles réussissent mieux car il y a le syndrome de la bonne élève, nous ne sommes pas socialisées de la même manière que les garçons », continue Isabella Lenarduzzi.

Ainsi, les stéréotypes sexistes et les mécanismes qui en découlent (comme le syndrome d’imposture, par exemple) ont un impact sur le financement de projets. Face à cela, la Fédération Wallonie-Bruxelles met en place des stratégies. L’une d’entre elles consiste à la formation des organes consultatifs culturels sur les stéréotypes de genres et l’intégration d’« une dimension genrée dans leur analyse », explique Barbara Brunisso. Parallèlement, un groupe de travail a été créé dans le cadre du Plan des droits des femmes afin de mener une réflexion sur la question des subventions et des genres.

LE GENDER BUDGETING POUR RÉDUIRE L'ÉCART ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Se pose ensuite la question du financement des projets favorisant l’égalité des genres ou encore les droits des femmes. Et comme dans de nombreux secteurs du monde associatif, le financement des ASBL féministes est incontestablement le nerf de la guerre. « L’intérêt pour nos thématiques dépend vraiment des personnes qui occupent les postes aux ministères », confiait Reine Marcelis, présidente et administratrice déléguée de Synergie Wallonie.

Depuis 2007, la loi fédérale « gender streaming » prévoit que chaque ministre « veille, dans la cadre des procédures de passation des marchés publics et d’octroi de subsides, à la prise en compte de l’égalité des femmes et des hommes et à l’intégration de la dimension de genre ». C’est dans ce contexte qu’est apparu le gender budgeting (ou la budgétisation sensible au genre).

Concrètement, l’objectif est d’analyser si le projet financé impacte différemment les hommes et les femmes et comment. Il peut donc s’agir d’un projet dont le but est directement l’égalité des genres ou un tout autre projet (par exemple la construction d’une école, d’un stade de foot...). Ainsi, chaque dépense peut être soit neutre (c’est-à-dire qui n’a pas d’impact différent sur les hommes et les femmes) ; soit spécifiquement genrée (c’est-à-dire dont le but est de réaliser l’égalité) ; soit genrable (c’est-à-dire qui peut avoir un impact différent sur les hommes et les femmes). Le but étant in fine de réadapter les politiques en fonction des inégalités observées.

Depuis, les entités fédérées ont à leur tour intégré cette notion. De son côté, la FWB publiera pour la deuxième année un rapport sur le gender budgeting.